jeudi 6 novembre 2008

Lettre aux enseignants néo-titulaires.

Chers collègues,

Vous n'ignorez sans doute pas que très prochainement, en tant qu'enseignants titularisés en 2008, nous allons faire l'objet des largesses de notre ministre qui a décidé, cette année,d'octroyer une prime de 1500 euros à tous les professeurs néo-titulaires.
Nous sommes nombreux à penser que cette prime toute symbolique doit être mise au nombre des manoeuvres médiatiques dont use le cabinet Darcos pour dissimuler la réalité du désengagement de la puissance publique vis-à-vis de l'Ecole.

Certains d'entre nous ont décidé de profiter de la publicité qu'offre aux jeunes enseignants l'octroi de cette gratification, pour organiser, avec le concours de responsables d'équipes pédagogiques pénalisées par les dernières coupes budgétaires massives à l'éducation nationale, des actions civiques visant à attirer l'attention de l'opinion sur ce qui se joue aujourd'hui à l'Ecole.

Afin de donner une première et forte impulsion à ce mouvement, quelques-uns ont résolu d'aller jusqu'à renoncer intégralement à leur prime : certains en la reversant à des caisses de soutien d'action unitaire de défense de l'école ; d'autres en la mettant à disposition des amicales laïques d'établissements scolaires déshérités. Ce geste, quoiqu'évidemment très couteux pour eux, ne leur a pas paru excessif dans la mesure où cette prime, purement conjoncturelle (rien ne permet de penser qu'elle est appelée à devenir pérenne) ne représente pas un droit statutaire (au contraire elle a pour objet de permettre au ministre de faire l'économie d'une revalorisation salariale globale) et qu'y renoncer ainsi n'équivaut pas à sacrifier un dû, mais seulement à refuser d'encaisser une gratification arbitrairement octroyée.

Enfin quoi qu'il en soit, loin de nous l'idée de vous inviter à faire de même.
Nous sommes évidemment bien placés pour savoir combien la situation financière des jeunes enseignants est précaire. Nous savons aussi qu'il est nécessaire, pour qu'un enseignement de qualité soit dispensé aux élèves, que leurs maîtres disposent de conditions matérielles d'existence décentes. Il serait donc absurde, au moment où nous prétendons oeuvrer à la défense de l'école républicaine, d'inviter qui que ce soit à faire des sacrifices pesants, mettant en péril l'équilibre de ses finances.
Ce que nous souhaitons cependant, c'est vous informer du fait que se met en place un certain nombre d'actions civiques visant à alerter l'opinion publique des ravages causés présentement à l'Ecole, et vous dire que si vous le désirez vous pouvez vous y associer, dans la mesure de vos moyens.

Nous pensons que la présente entreprise de démolition de l'école publique ne serait pas possible si le ministre ne pouvait s'appuyer sur un certain nombre d'enseignants ayant renoncé à appréhender leur fonction en lien avec l'idée de Bien Commun.
Or, dans le corps professoral, les vrais cyniques, même s'il n'est pas douteux qu'il y en ait, ne sont pas légion. Aujourd'hui, la plupart de ceux qui cachetonnent en heures sup', qui se font complices des suppressions de postes de leurs collègues, qui acculent les jeunes au statut de TZR, qui en rabattent sur la qualité de leur enseignement en prenant en charge un nombre déraisonnable de classe, ceux-là, disions-nous, n'en sont pas fiers. S'ils finissent par s'affranchir de tout scrupule, c'est d'abord parce qu'ils peuvent se convaincre de ce que la défense de l'intérêt général est une vieille lune. Pour peu qu'on les persuade du contraire, cela ne leur sera plus permis.

Voilà pourquoi il nous est plaisant d'imaginer quels puissants effets pourraient avoir sur les esprits le fait d'apprendre que, refusant de se laisser instrumentaliser en recevant béatement une gratification arbitrairement octroyée, au moment même où l'institution à laquelle ils appartiennent reçoit de violents coups de boutoir, certains jeunes enseignants, solidaires de leurs collègues et de leurs élèves, s'emploient à atténuer, dans la mesure de leurs très faibles moyens, l'abandon de la puissance publique vis-à-vis de l'Ecole.

Il est des actions symboliques qui, pour limitées qu'elles soient dans leurs effets immédiats, obligent moralement tout le monde. C'est dans cette ligne-là que nous comptons nous inscrire.

Cordialement, et avec amitié,

Un collectif de professeurs néo-titulaires.